En forme de femme


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Trois dimanche

C’est l’histoire de trois courses, de trois dimanche.

La première : 26 mai, Ottawa*.

La chaleur est pesante et le 10K décevant. La contre-performance me plonge dans un questionnement existentiel (rien de moins) : qui suis-je? pourquoi fais-je? comment dois-je? 1h02 sur 10K, franchement. Est-ce le signe qu’il me faut passer à autre chose?

La deuxième : 3 juin, Lorraine.

Ciel couvert, pluie fraîche, ambiance familiale. Je suis là avec mon mari, mon fils de trois ans et la poussette de jogging. Ce n’est pas ma course, ce n’est pas même celle de mon mari – il joue le rôle de lapin (meneur d’allure) pour une copine, qui tente un record personnel sur 10K. J’ai choisi le 5K pour finir avant eux et faire l’hystérique de service à la ligne d’arrivée. Le départ est lancé, je pousse et je cours dans la grisaille, je laisse la fine pluie laver doucement ma sueur et mes doutes. Branchée sur le canal plaisir, je comprends physiquement qu’à force de miser sur l’intensité des entraînements, qu’à force d’accomplir des sorties programmées à la seconde près, j’en ai presque oublié le goût du petit trot et toute la liberté qui l’accompagne. 30 minutes 9 secondes à l’arrivée, 2 minutes 54 de moins que l’an dernier dans des conditions pratiquement identiques. Le monde peut-il se transformer à ce point en sept jours? En une demie heure?

La troisième : 10 juin, Rosemère.

La chaleur rapplique. Une idée a germée depuis mon idylle sous la pluie : prendre ma revanche sur Ottawa. Je connais le parcours de la course de Rosemère par cœur (c’est mon patelin et ma troisième participation consécutive), mon entraînement pour Ottawa ne devrait pas s’être égaré en 14 jours et je suis déterminée. Déterminée, oui, sauf que le soleil est fier lui aussi. Et avant même que le départ ne soit donné, les choses boitent. Les organisateurs sont dépassés par la popularité de l’événement. Il manque de bénévoles pour compléter les inscriptions, on remet des dossards sans épingles et le départ est retardé de plus de 35 minutes.

Il fait chaud et le parcours est vallonné, mais je décide de tenter le tout pour le tout. Je me lance à l’allure prévue, convaincue d’avoir ce qu’il faut de félin en moi pour réussir. Mais dès le kilomètre 4, je craque. Je ralentis, je ralentis encore, et une centaine de pas plus loin, j’entends déjà la voix maudite, cet indésirable démon du courage et de la persévérance, qui me répète que la fête est terminée. C’est beaucoup trop tôt pour l’entendre gémir, celle-là.

Mon mari me rejoint après le cinquième kilomètre. Nous avions prévu qu’il me servirait de lapin sur la deuxième boucle du parcours. Aussitôt est-il près de moi que je lui avoue que c’est foutu, que je n’ai plus rien à donner et que la meilleure chose à faire dans ces conditions serait de dire à la prochaine fois. Non, me répond-il, nous allons terminer ce 10K. Ensemble.

À l’ombre des arbres, j’ai de minces regains d’énergie, mais sous le soleil plombant, il n’y a rien à faire pour contrer l’accablement. Des étourdissements et des sueurs froides me forcent à prendre quelques pauses de marche. Mon mari me devance aux stations de ravitaillement pour remplir ma bouteille d’eau et il me rattrape d’un pas léger. Je m’accroche à sa voix qui ne cesse de m’encourager et au rythme de ses jambes, qui tournent naturellement. J’essaie d’ignorer l’évidence : je ne cours pas pour ça. À l’arrivée, mon corps me prive même de l’euphorie habituelle. 1h02, encore. La revanche est manquée.

Entendez-vous le train des questionnements existentiels qui revient? Moi aussi. Et on ne m’y prend pas deux fois en trois semaines, je suis moins sérieuse que ça. C’est le temps de penser les choses autrement.

Les courses à 35 degrés me font souffrir? Inutile de m’y inscrire. Inutile, aussi, de m’acclimater aux condition caniculaires. Le cadran sonne maintenant à 5h pour me faire profiter des 15 degrés bien doux qui accompagnent le levant. Et pour contrer la lassitude du chrono à viser, j’ai renoué avec l’endurance fondamentale. Avec les pauses de marche aussi, qui me font sentir candide.

J’ai renoué avec l’oisiveté du coureur du dimanche.

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* J’ai triché un peu : la course à Ottawa avait lieu le samedi soir.


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Le propre de la dernière

J’ai complété aujourd’hui la dernière course de mon programme d’entraînement. J’ai couru tôt, parce que mai se prend pour juillet cette année. Il faisait chaud et il faisait beau. J’avais les jambes en blocs de béton et les poumons serrés par l’humidité et le polen en suspension. Mon allure, bien que plus lente qu’à l’habitude, n’était pas confortable. Je suis tout de même rentrée souriante et confiante, parce que le propre de la dernière sortie, c’est de tromper.

Plus lente ou plus courte (ou plus lente ET plus courte), elle fausse les perceptions. Je la compare souvent à la répétition générale d’un orchestre avant le concert. Chaque note manquée, chaque passage moins bien maîtrisé sonne l’alarme, et le moment de la performance venu, le musicien joue la partition aux aguets. Le surplus d’attention qui donne au concert sa qualité singulière, on le doit à la répétition générale.

Tout indique qu’il fera horriblement chaud samedi soir à Ottawa. Je réviserai mon objectif, s’il le faut. L’important, après tout, c’est de me laisser transporter par le propre de la compétition: la magie.


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Compétition: 5K Banque Scotia 2012

Tout était prévu. On confiait le petit à ma mère vers les 7 heures pour filer aussitôt vers le métro, on traversait la ville sur la ligne orange avec nos dossards déjà épinglés à nos chandails et une fois débarqués au parc Jean Drapeau, il ne restait qu’à déposer le sac à la consigne, faire une pause pipi et s’échauffer.

Tout s’est déroulé en accord avec le plan comme jamais ça ne m’était arrivé auparavant. L’énergie était bonne, la météo correcte, l’enthousiasme total.

Puis le départ a été lancé et la masse s’est mise en mouvement. Un bref tour d’horizon m’a fait comprendre que je m’étais fourrée dans le même pétrin que l’an dernier : je me trouvais au milieu des marcheurs. Qu’on se le dise : ceux qui portent des sacs à dos pour un 5K ont rarement l’intention de le courir.

Faufilage, dépassements par la gauche et par la droite, etc.

J’ai finalement trouvé de l’espace, des gens qui courent et mon allure. Coup d’œil sur la montre : 600 mètres. Ouf.

Au fait, à quelle allure est-ce que je devais courir ce 5K? Aucune idée.

J’étais tellement occupée à tout planifier pour me rendre à la compétition que j’ai oublié de penser à la compétition.

Le cerveau s’est joint à la course : « disons que je vise 28’30’’ pour tenter de battre mon meilleur temps », me disais-je comme une nouille qui n’a pas fait ses devoirs. « OK, on va dire 28’30’’. Ça fait donc une allure de… 5 minutes et… 3 minutes 30, divisé par 5… franchement ridicule de faire ces calculs ici et maintenant… 3 minutes font 180 secondes… divisé par 5… 36 secondes… plus… 30 secondes divisé par 5… OK, ça fait une allure de… 5’42’’ par kilomètre. »

Ri-di-cu-le.

Coup d’œil sur la montre : 5’50’’ pour le premier kilomètre. Ça allait.

Les jambes tournaient et tournaient et la musique chantait des complaintes rythmées et disait que les trains couraient eux aussi.

Sans m’en rendre compte, je pointais des yeux un coureur à quelques dizaines de mètres et je le rattrapais. La fille au coupe-vent bleu, le gars au bandeau rouge, l’héroïne dans la soixante-dizaine qui courait comme si de rien n’était. Sans zèle aucun, je les rattrapais, juste parce que les jambes tournaient et que je courais à l’aise.

Trop à l’aise, même. À 2,5 Km, j’ai réalisé que c’était déjà presque terminé. Quoi? Déjà?

J’ai accéléré jusqu’à la fin, mais il était un peu tard, à la mi-parcours, pour me décider à courir. J’ai franchi le fil d’arrivée à toute vapeur et avec la ferme conviction qu’un 5K, je ne sais pas comment courir ça. Tant pis, j’ai d’autres qualités. Et toute la vie pour apprendre.

C’était un modeste mais satisfaisant record personnel : 28’04’’.

Je ne pense pas que mon corps et mon esprit soient destinés au 5K. Je ne suis pas même certaine d’aimer vraiment les courir en compétition. Peut-être que j’apprécierai davantage cette distance quand je saurai la gérer. C’était malgré tout un excellent test pour mon 10K à venir (Ottawa, dans 3 semaines), et aussi la confirmation que je progresse doucement mais sûrement.

On verra si je peux virer ces 5 vilaines secondes la prochaine fois…


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Lecture: Le goût de courir d’Antoine de Gaudemar

Je referme à l’instant un petit livre que j’ai dévoré comme un assortiment de chocolats surfins : Le goût de courir (2011, Mercure de France). Il s’agit d’une anthologie préparée par le journaliste et cinéaste Antoine de Gaudemar, qui rassemble des textes sur la course et ses héros depuis Hérodote jusqu’à Joyce Carol Oates, en passant par Jean-Jacques Rousseau et Lewis Carroll.

On apprend, notamment, que le célébrissime premier marathonien, Philippidès, aurait en fait été un ultra-marathonien, puisqu’il aurait parcouru 250 kilomètres en 36 heures. Et il n’en serait pas mort. On apprend aussi qu’au stade d’Olympie, qui faisait 192 mètres très exactement, les athlètes grecs couraient entièrement nus.

Dans ce petit bijou d’anthologie, quelques textes font sourire, comme la scène du Émile ou de l’éducation de Rousseau, dont voici un extrait :

Les femmes ne sont pas faites pour courir; quand elles fuient, c’est pour être atteintes. La course n’est pas la seule chose qu’elles font maladroitement, mais c’est la seule qu’elles fassent de mauvaise grâce : leurs coudes en arrière et collés contre leur corps leur donnent une attitude risible, et les hauts talons sur lesquels elles sont juchées les font paraître autant de sauterelles qui voudraient courir sans sauter. (p. 30)

D’autres font sourciller, comme celui de Jean Baudrillard :

« I did it! » soupire le marathonien épuisé en s’écroulant sur la pelouse de Central Park.

I DID IT!

Le slogan d’une nouvelle forme d’activité publicitaire, de performance autistique, forme pure et vide et défi à soi-même, qui a remplacé l’extase prométhéenne de la compétition, de l’effort et de la réussite. […]

Le marathon est une forme de suicide démonstratif, de suicide publicitaire : c’est courir pour montrer qu’on est capable d’aller au bout de soi-même, pour faire la preuve… la preuve de quoi? Qu’on est capable d’arriver. (p. 107)

La « course à la Comitarde », dans Alice au pays des merveilles, nous rappelle la nature profondément ludique de la course, et les très spirituelles Notes et maximes sur le sport de Jean Giraudoux sont tout simplement délicieuses :

La piste est l’image de l’infini, sur lequel chaque coureur découpe sa distance favorite. […]

J’aime couper de sprints ma marche vers la mort. […]

Ce n’est pas les uns après les autres que courent les coureurs à pied. La preuve, c’est que jamais il ne leur vient l’idée de toucher ceux qu’ils rattrapent. (p. 99)

Antoine de Gaudemar a divisé son anthologie en trois parties : la première fait état de la course à travers les âges, la deuxième raconte la vie de ses héros, la troisième s’intéresse à la course comme métaphore. S’y côtoient les points de vue des spectateurs et des sportifs, des sprinteurs et des marathoniens, des amoureux et des détracteurs. Je ne saurais reprocher à ce bouquet de textes que d’être trop court; j’en aurais pris plus et pour plus longtemps. Certains titres sont déjà dans ma bibliothèque, d’autres s’y ajouteront bientôt sans aucun doute. Je vous le recommande chaleureusement si vous avez… le goût de courir.

Le goût de courir, textes choisis et présentés par Antoine de Gaudemar, Paris, Mercure de France, coll. « Le petit Mercure », 2011, 134p.


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Simplicité

Le ciel du Québec nous est tombé sur la tête en textures variables toute la journée de vendredi. La pluie, la pluie verglaçante, la grêle et la neige s’alternaient dans le désordre complet, comme si Dame Nature n’était vraiment plus sûre de rien. Dès mon réveil, samedi matin,  j’ai jonglé avec l’idée de faire ma petite course de 5 Km en salle, bien au sec et sur la surface plus-que-parfaite du tapis roulant. J’allais prendre place dans la voiture pour m’exécuter, vers 21 heures, quand j’ai finalement décidé de faire cette sortie à l’air frais. Le temps était doux et la soirée calme, tant pis pour l’hiver qui ne donne pas de répit.

J’aurais manqué tout un spectacle, si j’avais ignoré mon élan de dernière minute. Mon cartier est à l’ombre de grands arbres matures qui, après avoir été recouverts de glace et de neige, formaient dans le soir un paysage féérique. J’ai couru le long de la rue principale au milieu des branches de cristal et des conifères pleureurs, tout simplement heureuse d’être là où j’étais.

Ma montre GPS s’est éteinte avec sa pile avant que je n’atteigne 500 mètres. J’ai d’abord été irritée par ce détail, mais je me suis rapidement ravisée : même si je ne pourrais tirer de cette course aucune donnée précise sur la distance, le temps, mes fréquences cardiaques ou mon allure, et même si elle ne laisserait dans ma montre et dans mon ordinateur aucune trace, je savais déjà qu’elle serait mémorable. Le souvenir d’un moment d’enchantement vaut parfois la peine d’être cueilli en toute simplicité.

C’est d’ailleurs sous le signe de la simplicité que progresse l’ensemble de mon entraînement depuis le début de l’année. J’arrive à la fin du premier tiers de mon programme d’hiver, dont l’objectif est d’élever mon kilométrage hebdomadaire à 40 Km/semaine. L’endurance fondamentale est ma seule préoccupation. Le travail en intensité ne me manque pas, même que j’apprécie tout particulièrement de n’avoir que la distance comme contrainte dans les conditions hivernales qui sont les nôtres. Je roule mes kilomètres et j’avance, tout simplement.

Même scénario sur mon tapis. Le studio de yoga que je fréquentais depuis l’été a fermé ses portes après Noël, j’ai donc profité d’une promotion pour me procurer un abonnement annuel illimité au site Yogadownload.com. Pour moins de 60$, je peux maintenant télécharger toutes les pratiques de yoga offertes, choisir celle qui sied à mon humeur et à ma forme du jour, et dérouler mon tapis à la maison, à l’heure qui me convient et pour une durée que j’ai choisie. Cela veut peut-être dire que là où je pourrais repousser mes limites en classe, je m’en tiens à ce qui est plus confortable, mais je vis bien avec cette paresse relative, qui me semble saine périodiquement. Nul besoin de me dépasser 365 jours par année. Je reconnais la valeur des choses faites sans exploits.

Pendant que je travaille ainsi mon endurance fondamentale, il me semble tout naturel de rechercher un état d’esprit plus posé, à l’écart de l’énergie explosive qui accompagne la préparation à une performance. Qui sait? Peut-être cet état d’esprit, une fois atteint ici, débordera là, dans d’autres sphères de ma vie. J’y crois.

« Our life is frittered away by detail. […] Simplify, simplify, simplify! » – Henry David Thoreau, Walden


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Et je courais, je courais

Le petit nous a fait la vie dure samedi en entier. Cette nuit, il a peu dormi. Je me suis réveillée en peignoir dans son lit d’enfant, les jambes pliées n’importe comment et comme raides de n’avoir pu s’étirer des heures durant. J’ai dû tomber de sommeil près de lui en essayant de le rendormir.

La maison était fraîche et le ciel gris. Le café m’a à peine ranimée. Les huit kilomètres sur mon plan d’entraînement me paraissaient déjà longs et la simple idée de me jeter dans le froid avec un corps fatigué me faisait espérer que la journée s’efface du calendrier par un miraculeux tour de Terre.

Le temps était clément, pourtant. Je me suis habillée tranquillement, mécaniquement. À trop penser on oublie de bouger.

Je savais déjà qu’aucune guitare électrique ne saurait meubler mon petit voyage solitaire, que les motifs mélodiques accrocheurs et les coups de cymbales irriteraient mon esprit vaseux. Un seul refrain cynique m’aurait achevée. J’avais besoin pour déjeuner d’une tartine et de beauté.

La voix de Dietrich Fischer-Dieskau et la touche de Gerald Moore m’ont portée le long de huit kilomètres à la fois apaisants et toniques. Winterreise de Franz Schubert. Voyage d’hiver.

Alors que j’écoutais Die Post et que les « Mein Herz » paraissaient chantés rien que pour moi, les flocons sont apparus. Ils ne tombaient pas, ils papillonnaient. Dodus, je pouvais presque en voir les détails.

Et pendant que Dietrich Fischer-Dieskau me racontait l’histoire du courrier qui ne parvient pas au cœur malheureux, je revoyais les premières pages de Rusty Brown, une bande dessinée signée Chris Ware, qui prend les flocons de neige uniques et éphémères comme métaphore de la solitude.

J’aurais voulu réunir toute cette beauté en un seul moment que je n’aurais pu. Et je courais, je courais.

Die Post

Von der Strasse her ein Posthorn klingt.

Was hat es, dass es so hoch aufspringt,

Mein Herz?

Die Post bringt keinen Brief für dich.

Was drängst du denn so wunderlich,

Mein Herz?

Nun ja, die Post kömmt aus der Stadt,

Wo ich ein liebes Liebchen hatt’,

Mein Herz!

Willst wohl einmal hinübersehn

Und fragen, wie es dort mag gehn,

Mein Herz?

Résumé en français: Le cœur frémit lorsque sonne le cor du postillon. Et pourtant le malheureux sait bien qu’aucune lettre ne saurait l’atteindre, mais l’espérance ne veut pas encore mourir.

Le texte est de Wilhelm Müller, tel que fournit dans le livret d’enregistrement de 1972 chez Deutsche Grammophon.


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2012, version réaliste (et version idéale)

Tout le monde ne parle que de bilans et de résolutions depuis quelques jours. On ne saurait trop s’en étonner : le nouvel an est un passage symbolique qui nous incite à prendre du recul sur les événements passés et à imaginer toutes sortes de redressements pour l’avenir. Certains refusent de prendre des résolutions sous prétexte qu’ils ne les tiennent jamais, mais je continue de penser qu’elles m’aident à tirer de moi-même quelques bons coups chaque année, ne serait-ce qu’en me faisant espérer l’amélioration de quelques aspects de ma vie et la réalisation de projets excitants.

Je n’ai pas atteint tous mes objectifs de l’année 2011, mais je suis tout de même grandement satisfaite de ce qui a été accompli, surtout à l’entraînement.

1355 Km de course, soit une moyenne de 30 Km/semaine, et 68 heures de yoga, soit une moyenne de 1h30 par semaine. Je n’ai pas compilé les heures de musculation, mais j’y ai aussi consacré un temps respectable. Ma progression a été constante et je n’ai subi aucune blessure. Au-delà des chiffres, c’est déjà une belle réalisation.

Pour établir mes nouveaux objectifs, j’ai dû garder en tête un fait essentiel : 2012 est l’année durant laquelle j’espère finir d’écrire ma thèse. Il s’agit de la priorité. Je souhaite miser avant tout sur la constance, pour la rédaction et pour l’entraînement, et c’est autour de ce critère que j’ai pensé mes objectifs. Mon calendrier de compétitions n’est pas encore fixé, mais cela n’a guère d’importance à ce point-ci de l’année. Jusqu’à la fin du mois de mars, j’ai l’intention de travailler l’endurance fondamentale; pour les mois subséquents, les idées ne manquent pas. Aucun objectif de performance chrono ne m’appelle particulièrement, même si mon petit doigt me dit qu’en continuant de mettre un pied devant l’autre, je ne risque pas de régresser.

Mes objectifs pour cette année visent à améliorer ma forme en général. J’aimerais augmenter raisonnablement mon volume d’entraînement et porter une attention toute particulière à mon alimentation. Mon intérêt grandissant pour la nutrition m’exhorte à travailler l’application des principes, mais je sais que les changements se font un à la fois et petit à petit. Je suis patiente.

Concrètement, voici comment se traduisent mes objectifs :

  • Cumuler une moyenne de 40 Km de course par semaine;
  • Pratiquer le yoga 2 heures par semaine;
  • Fixer un objectif nutritionnel tous les mois.

Ces objectifs sont spécifiques, réalistes et peu contraignants. Ils répondent à un impératif de concentration (en opposition à la dispersion ou à la distraction) que réclame ma tâche de rédaction. Je compte courir pour méditer et me dépenser, pratiquer le yoga pour délier mon corps et mon esprit, et améliorer mes habitudes alimentaires pour donner à mon corps le carburant et le respect qu’il mérite. Tout cela, je l’espère, m’aidera à travailler et à en finir une fois pour toutes avec mes études universitaires.

Et peut-être que – je dis bien peut-être -, si tout va bien et que les astres sont parfaitement alignés à la fin de l’automne, je tenterai de courir mon deuxième marathon. (J’ai conscience de contredire en partie de ce que je me suis appliquée à écrire plus haut, mais voilà, je rêve d’un marathon comme d’autres rêvent de nouvelles bottes en cuir ou d’un voyage à la mer. Advienne que pourra, dirait ma mère. Je prendrai les mois, les kilomètres et les namaste un à la fois. )

Bonne année! Bonne santé!


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Une simulation

L’idée de simuler une compétition de 10 Km m’est venue il y a 6 semaines, alors que je me demandais quoi faire de ce qu’il restait d’automne avant mon repos annuel.

Après de longs mois à me préparer pour le demi-marathon d’Ottawa et pour le demi-marathon de Montréal, j’ai été séduite par le programme court qui m’a mené au 5 Km du Parc La Fontaine et au 10 Km du Parc national d’Oka. C’est la compétition d’Oka qui m’a fait rêver : en franchissant les 10 Km en 60 minutes 14 secondes, je me suis mise à imaginer descendre sous la barre des 60 minutes. Il me semblait possible d’y croire puisque j’avais pris ce départ tranquillement et qu’à la fin, j’avais eu assez d’énergie pour sprinter, ce qui me laissait croire que j’avais encore du carburant en arrivant. J’ai épluché la fin du calendrier 2011 sur courir.org et j’ai dû me rendre à l’évidence : les compétitions se font rares en saison froide, à moins de pouvoir voyager. Il me faudrait attendre jusqu’au printemps pour tenter ma chance.

À moins que… j’organise une compétition « maison ».

Pour courir 10 Km sous les 6’00’’/Km, j’ai élaboré un programme de 6 semaines à partir d’un plan tiré de la revue Canadian Running. Mon intention était d’abord d’ajouter de l’intensité à mes entraînements. J’ai choisi de maintenir mon kilométrage hebdomadaire à environ 30 Km/semaine, pour intégrer sans risque deux séances d’entraînement fractionné (intervals). J’aime beaucoup la longue course du dimanche, mais je l’ai troquée facilement pour des séances de vitesse; lorsqu’on alterne des segments rapides et des segments de récupération, le temps passe en flèche. J’ai aussi décidé de mieux structurer la musculation, c’est-à-dire de la faire plus régulièrement. Même si j’adore faire de la musculation, il m’arrive souvent de la sacrifier si je dois choisir entre elle et une pratique de yoga. C’est comme ça. On ne peut pas toujours tout faire.

Six semaines plus tard, après avoir complété quasi religieusement mon programme, je me suis retrouvée (c’était hier) à douter. En ce sens, on peut dire que la simulation était réussie. Mercredi, j’ai couru avec 3 copines de DailyMile plus vite que je n’aurais dû et ces 6 Km de plaisir amical au Jardin Botanique m’ont parus bien difficiles à 6’30’’/Km. Courir 10 Km à moins de 6’00’’/Km me semblait tout à coup trop ambitieux. Et puis il y avait mon sommeil, difficile et court depuis deux mois, mon hydratation douteuse depuis des semaines, et aussi cette deuxième bière que je venais de m’enfiler, à 23h30, en cuisinant de la pâtisserie pour mes cadeaux de Noël. Ce n’était pas les dispositions idéales pour tenter de faire un record personnel sur une distance de 10 Km.

Quand j’y pense maintenant, je me demande si je ne m’inventais pas des excuses pour ne pas tenter le coup, ou si je ne programmais pas la défaite à l’avance – la psychologie humaine peut être bien étrange. Heureusement, le corps est parfois plus malin que la tête, et je me suis réveillée en forme dans ce qui s’annonçait déjà une magnifique journée ensoleillée. J’aurais pu plaider ceci ou cela pour me soustraire à ce projet, qui de toute façon m’appartenait entièrement et pour lequel je n’étais liée par aucun engagement, mais j’aurais eu du mal à me convaincre de l’honnêteté de ce désistement. Impossible de réussir sans essayer.

Je suis sortie avec mon attirail d’hiver, une gourde, un Gu et le iPod. Je me suis dit : « On verra comment ça va ». Après un kilomètre d’échauffement en direction de la piste cyclable, j’ai décidé d’essayer. Un clic sur ma montre GPS et c’était parti. J’ai choisi la piste cyclable parce que sa surface est parfaite et que son parcours est plat et sécuritaire; peu de voitures la traversent et très peu de cyclistes l’occupent. D’un bout à l’autre, elle fait exactement 3,5 Km. Pour m’en tenir à cette piste, il me faudrait donc faire des demi-tours.

Les 6 premiers kilomètres se sont enchaînés sans problème. La musique me divertissait et j’étais dans le vide habituel de mon esprit. J’ai franchi le premier kilomètre en 6’15’’, le second en 6’10’’, le troisième en 6’03’’ et puis j’ai trouvé mon rythme au quatrième kilomètre : 5’56’’. C’est celui que j’ai maintenu jusqu’à la fin, sauf qu’à partir du sixième kilomètre, il était de plus en plus difficile à tenir. Au terme de ce sixième kilomètre, toutes les variations du verbe « abandonner » se sont présentées à mon esprit avec une créativité effrayante. J’avais plus de la moitié derrière moi, mais j’avais aussi presque la moitié encore devant. Là, j’ai su que la bataille serait avant tout mentale et qu’il me faudrait garder le cap. Tenter un record personnel sans l’adrénaline de la compétition et l’euphorie d’un événement organisé, ça ne peut pas être donné tout cru dans le bec.

Outre la disqualification systématique des chansons qui ne contribuaient pas directement à ma performance, ma principale préoccupation, à partir de ce moment-là et jusqu’à la fin de cette course, a été l’économie d’énergie. Je ne pensais qu’à détendre mes épaules, mes mains et mon visage, et je m’assurais de la régularité de mon pas et de ma respiration. Dès que mon cerveau générait le début d’une idée, je la repoussais pour me concentrer sur le mouvement de mes jambes ou sur mon expiration. Je vérifiais périodiquement mon allure sur ma montre GPS pour m’assurer que je ne m’emballais pas (ce que je faisais à l’occasion, évidemment).

Le huitième kilomètre a été le plus difficile parce que mes jambes étaient fatiguées et que je devais déployer beaucoup d’énergie mentale afin de ne pas me laisser décourager par les kilomètres qu’il me restait à parcourir. Le neuvième a été celui de l’espoir (la fin était proche), tandis que le dixième a été celui de la souffrance. Je dis souffrance parce que si je n’avais pas eu un objectif en tête, j’aurais arrêté ou ralenti. J’étais épuisée et chaque pas était une offense au bon sens. Mais cette souffrance n’était pas idiote. Elle avait un sens et, étrangement, faisait du bien. J’ai poussé jusqu’au bout et je n’ai jamais abandonné, et c’est de cela dont je suis le plus fière.

Et aussi des 59 minutes 30 secondes qu’affichait ma montre lorsque j’ai atteint le dernier mètre de 10 000.

C’est ainsi que se termine ma saison 2011, c’est-à-dire merveilleusement. Je prends deux semaines de congé et elles sont bien méritées.


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3 choses que j’ai apprises en courant cette année

1. Le plaisir de courir en bonne compagnie

L’idée de parler en courant m’avait toujours paru farfelue : courir est déjà un défi pour l’asthmatique que je suis. Il ne s’agissait pourtant que de trouver mon allure et… des compagnons. J’ai été choyée. Plusieurs amis qui me sont chers se sont mis à la course et j’ai rencontré sur DailyMile des coureurs exceptionnels qui ont bien voulu partager quelques kilomètres avec moi. Certains sont venus m’accompagner sur mes parcours habituels, d’autres m’ont fait découvrir les leurs. J’ai eu la chance de participer à une compétition de 5 Km avec ma petite sœur, j’ai fait des dizaines de sorties avec mon amoureux et j’ai aussi chanté l’alphabet un nombre incalculable de fois en poussant mon petit prince dans le Babyjogger. J’ai toujours aimé l’aspect solitaire et méditatif de la course, mais je suis ravie de pouvoir enfin profiter de son pan social.

2. Courir comme un enfant

J’ai couru en ville pendant des années, sur les trottoirs et dans les parcs. Cette année, j’ai fait mon baptême de course dans les sentiers. Un véritable coup de cœur. Si la course est déjà le purgatif de tous mes maux, elle est particulièrement apaisante lorsque je longe le bord de l’eau ou que je me faufile entre des masses d’arbres. En même temps, la surface irrégulière et souvent semée d’obstacles met mon esprit sur le qui-vive comme jamais la route ne le fait. J’ai le sentiment de jouer dehors.

3. Viser juste

Je pense avoir un sens plus aiguisé de la manière avec laquelle je dois fixer mes objectifs, tant à l’échelle de la compétition qu’à celle de la saison. Après mon difficile demi-marathon à Ottawa, j’ai en effet voulu comprendre les raisons « profondes » qui me jettent plusieurs fois par semaine sur la route. J’ai conclu que l’ambition me réussit mal. En vérité, la course est peut-être le seul secteur de ma vie dans lequel je ne ressens pas une impulsion d’excellence; je considère qu’il s’agit d’une activité gratuite dont l’unique fonction est de me faire du bien. Me fixer des objectifs ambitieux et générer l’impératif de la performance est donc la pire direction que peut prendre ma pratique. Je suis une coureuse bienheureuse, tout simplement. Certains trouvent dans la course l’occasion de se dépasser; j’y ai plutôt découvert un moyen d’apprécier ma place au soleil.


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Insulte et compliment

Ce mardi, alors que je reprenais le chemin de la maison pour terminer une course tranquille et que, séduite par l’idée d’emprunter le sentier de la mare aux canards, je profitais de l’air frais du mois de novembre, on m’a insulté. Je suivais trois adolescents qui venaient de descendre de leur bus scolaire et qui tapageaient autour d’un meuble abandonné aux ordures. Le plus grand a lancé un tiroir en l’air, les deux autres ont ri, puis ils se sont tous les trois ballottés en échanges mi-tirailleurs mi-amicaux. Lorsque je les ai dépassés, l’un d’eux m’a crié : « Fat booty! »

Mon réflexe aurait été de lever les doigts d’honneur  – les deux – mais j’ai entendu depuis le creux de mes souvenirs la voix de ma mère, comme aux tristes jours où on m’intimidait à la petite école et à la polyvalente : « Ignore-les. » J’ai donc laissé mes majeurs là où ils étaient et j’ai continué mon chemin, un peu troublée. Mais je n’avais pas encore fait quatre enjambées que le crieur, pensant que peut-être je ne l’avais pas entendu, a pris soin de me renvoyer son message, plus fort et plus convaincu.

J’ai beau avoir enduré des années de ricanements et d’humiliations, j’ai beau avoir une indulgence infinie pour les adolescents et un esprit critique, je crois, assez fin pour savoir que ce jugement n’était ni valable ni recevable, je me suis immédiatement mise à me désoler de mon popotin. Je savais que ma mère avait encore raison, vingt ans plus tard, et qu’il ne valait pas la peine de bouger une phalange pour répondre à de telles idioties, mais en même temps je me sentais frustrée de ne pas m’être défendue.

Arrivée à la maison, j’ai raconté l’incident à mon mari et je lui ai confié que j’espérais de tout cœur que notre fils ne dirait jamais de telles choses à des étrangers. Puis j’ai pensé à mes débuts de coureuse, alors que je sortais le soir ou que je me rendais à la piste aux heures où elle était déserte, cherchant à éviter le regard des autres, qui pensaient certainement – c’est ce que je m’imaginais – que j’étais trop ceci ou pas assez cela pour faire ce que je faisais.

J’ai déjà raconté qu’à Philadelphie, un chauffeur de taxi avait été surpris d’apprendre que j’allais courir un marathon parce que, m’avait-il dit, les marathoniens étaient habituellement très minces. Je me souviens de ces mots comme s’il me les avait dit hier matin, parce que c’était précisément ce jugement que je redoutais, moi qui me sentais déjà comme un imposteur et qui avais du mal à me convaincre que j’étais, moi aussi, une athlète.

Un billet de Ben Davis m’a rappelé ces épisodes gênants, mais surtout l’importance de dire et de redire tout le bien que nous pensons, entre nous, de l’effort des autres. Dans son billet, Ben, qui est passé de l’obésité morbide et de la dépression aux Ironman et à la couverture de Runner’s World, raconte à quel point il redoutait, lorsqu’il a commencé à courir, les jugements de ceux qu’il croisait sur la rue. Et comment il a fini par comprendre qu’il n’y a aucune honte à prendre sa vie en main, quel que soit le point de départ.

En dix ans, ma crainte d’être jugée a été justifiée à au moins deux reprises. Mais combien de personnes ont pensé, en me voyant courir, que j’avais du courage de sortir sous la pluie, à 20 degrés sous zéro, avec mon fat booty ou en poussant mon petit dans le Babyjogger? Combien se sont dit « Tiens, je devrais sortir moi aussi »? Combien, encore, ont trouvé tout à fait normal de me voir courir, au point de ne pas même me remarquer? Des tas, assurément. Et je les remercie.

Nous sommes des athlètes. Le poids corporel, la silhouette, la vitesse et le style n’ont rien à voir avec ce statut. Tous les entraînements et tous les efforts comptent et méritent des compliments. Que ceux qui ne souhaitent pas exprimer ces compliments se taisent.