Le petit nous a fait la vie dure samedi en entier. Cette nuit, il a peu dormi. Je me suis réveillée en peignoir dans son lit d’enfant, les jambes pliées n’importe comment et comme raides de n’avoir pu s’étirer des heures durant. J’ai dû tomber de sommeil près de lui en essayant de le rendormir.
La maison était fraîche et le ciel gris. Le café m’a à peine ranimée. Les huit kilomètres sur mon plan d’entraînement me paraissaient déjà longs et la simple idée de me jeter dans le froid avec un corps fatigué me faisait espérer que la journée s’efface du calendrier par un miraculeux tour de Terre.
Le temps était clément, pourtant. Je me suis habillée tranquillement, mécaniquement. À trop penser on oublie de bouger.
Je savais déjà qu’aucune guitare électrique ne saurait meubler mon petit voyage solitaire, que les motifs mélodiques accrocheurs et les coups de cymbales irriteraient mon esprit vaseux. Un seul refrain cynique m’aurait achevée. J’avais besoin pour déjeuner d’une tartine et de beauté.
La voix de Dietrich Fischer-Dieskau et la touche de Gerald Moore m’ont portée le long de huit kilomètres à la fois apaisants et toniques. Winterreise de Franz Schubert. Voyage d’hiver.
Alors que j’écoutais Die Post et que les « Mein Herz » paraissaient chantés rien que pour moi, les flocons sont apparus. Ils ne tombaient pas, ils papillonnaient. Dodus, je pouvais presque en voir les détails.
Et pendant que Dietrich Fischer-Dieskau me racontait l’histoire du courrier qui ne parvient pas au cœur malheureux, je revoyais les premières pages de Rusty Brown, une bande dessinée signée Chris Ware, qui prend les flocons de neige uniques et éphémères comme métaphore de la solitude.
J’aurais voulu réunir toute cette beauté en un seul moment que je n’aurais pu. Et je courais, je courais.
Die Post
Von der Strasse her ein Posthorn klingt.
Was hat es, dass es so hoch aufspringt,
Mein Herz?
Die Post bringt keinen Brief für dich.
Was drängst du denn so wunderlich,
Mein Herz?
Nun ja, die Post kömmt aus der Stadt,
Wo ich ein liebes Liebchen hatt’,
Mein Herz!
Willst wohl einmal hinübersehn
Und fragen, wie es dort mag gehn,
Mein Herz?
Résumé en français: Le cœur frémit lorsque sonne le cor du postillon. Et pourtant le malheureux sait bien qu’aucune lettre ne saurait l’atteindre, mais l’espérance ne veut pas encore mourir.
Le texte est de Wilhelm Müller, tel que fournit dans le livret d’enregistrement de 1972 chez Deutsche Grammophon.