J’aime participer à des compétition de course parce qu’elles sont d’excellentes métaphores de la vie. On tente par tous les moyens d’en contrôler le déroulement et l’issue, mais on finit toujours par être aux prises avec bien des hasards, qu’il faut gérer et embrasser.
J’ai eu le plaisir d’atteindre un de mes buts lors de cette compétition : battre mon dernier temps pour la même distance. J’ai complété la course en 2 heures 24 minutes et des poussières, 13 minutes en dessous de ma dernière performance (en 2008), mais malheureusement bien au-delà de ce que j’aurais souhaité (sous les 2h15). Les conditions étaient désastreuses et l’expérience éprouvante, mais je suis fière d’avoir réussi à aller jusqu’au bout.
Durant les cinq jours précédant la compétition, j’ai été accablée par les allergies saisonnières. Yeux petits et larmoyants, bandeau terrible, congestion, toux, courbatures et fatigue extrême, j’ai passé mes journées comme un zombie et j’ai fait mes nuits à coup de 30 minutes de sommeil plus-que-léger. Vendredi, mon mal a fait son chemin vers mes bronches et j’ai commencé à faire de l’asthme. C’est à ce moment que j’ai décidé de passer à la pharmacie et d’en finir avec ce cirque.
Samedi matin, je me suis réveillée dans une meilleure forme (relative) et avec l’espoir de me sentir bien pour dimanche. Je me suis rendue comme prévu à Ottawa, j’ai récupéré ma trousse de coureur, encouragé ma cousine par alliance au 10Km et pris un sympathique repas en bonne compagnie. Malheureusement, l’agrément s’est terminé à ce moment-là. Les décongestionnants rendent légèrement nerveux, ce qui m’a valu une 4e nuit blanche de suite.
Dame Nature avait choisi d’intensifier les choses avec un taux d’humidité de 100%, particulièrement difficile pour les asthmatiques. Dans ces conditions, j’ai évidemment abandonné le projet de maintenir une allure de 6′15″/Km. J’ai suivi ma routine à la lettre, mais j’ai décidé, à la toute dernière minute, de ne pas porter ma ceinture cardiofréquencemètre ni ma ceinture d’hydratation (une décision que j’ai amèrement regrettée dès les premiers Km de la course). J’ai fait un échauffement de 15 minutes très doux et, heureuse de profiter enfin de mes 22 semaines d’entraînement, je me suis dirigée vers la ligne de départ.
L’ambiance était électrisante. Des miliers de coureurs attendaient le coup de fusil avec frénésie. Je me suis placée près du lapin de 2h15 en pensant que cela était raisonnable. Les trois premiers Km ont été rondement, mis à part le fait que j’avais la bouche complètement sèche. C’était la première fois qu’une telle chose m’arrivait. La première station d’eau a été bien accueillie. J’ai trouvé mon allure « plan B » (6′25″) sans problème et je l’ai maintenue jusqu’au dixième Km, que j’ai franchi en 1h05.
Dès le début de la course, j’ai senti que je travaillais fort pour mon allure, mais puisque les médicaments brouillaient mes sensations et que je n’avais pas de lecture de ma fréquence cardiaque, je ne savais pas à quel point. À partir du Km 8, les choses ont commencées à aller moins bien. Vraiment moins bien. J’ai eu des sueurs froides et cela m’a allarmé. Je n’avais pas du tout envie de me retrouver couchée sur le bord de la route à attendre l’ambulance. Je me suis donc dirigée vers le côté de la route au cas où j’aurais à marcher ou à arrêter. Avant que je ne passe le Km 9, j’ai frappé le mur. C’était beaucoup trop tôt pour cela et pour la première fois dans ma jeune vie de coureuse, j’ai voulu abandonner de toutes mes forces.
Mais je me suis accrochée. Au Km 10, il n’était absolument plus question de courser le lapin de 2h15; mon seul but était de me rendre le plus loin possible, au fil d’arrivée dans le meilleur des cas. Heureusement, c’est à ce moment que la pluie s’est mise de la fête. Je ne sais ce qui serait arrivé si ce n’avait été de cette pluie, qui a, au bout d’une dizaine de minutes, bien tempéré mon corps. Malgré tout, je dois avouer que je n’avais pas de plaisir. Je souffrais physiquement et c’était bien décevant de voir un si bel entraînement aboutir ainsi. Le lapin de 2h15 s’est éloigné de moi tranquillement, jusqu’à ce que je ne puisse plus le voir.
Pour faire taire mon désir d’abandonner entre les Km 10 et 18, j’ai fait preuve de beaucoup d’imagination. J’ai souvent touché le pendentif que mon mari m’a offert à la fête des mères pour entendre sa voix me dire que je pouvais le faire, que j’étais forte. J’ai pensé à mes beaux-parents qui étaient venus pour m’encourager, à Geneviève qui devait courir avec moi, à tous mes amis sur Dailymile, à Terry Fox, à mes proches qui sont malades, aux enfants à l’hôpital et à leurs parents qui donneraient tout pour échanger leur combat contre un demi-marathon dans des conditions difficiles. Le pathos au plancher pour ne pas flancher.
Au Km 15, j’étais entièrement trempée. Mes chaussures étaient comme de grosses éponges imbibées et je commençais à sentir cette vilaine ampoule que me fait parfois mon soutien-gorge de sport sur environ 10 centimètres au bas de mon thorax (note à moi-même: il est temps de le changer). C’est aussi à ce moment que j’ai commencé à sentir l’épuisement du haut de mon corps. Dès lors, j’ai eu plus de difficulté à supporter cet épuisement que celui de mes jambes, ce qui était à la fois étrange et frustrant.
Au Km 18, j’ai enfin vu mes beaux-parents et cela m’a été d’un incroyable réconfort. Les spectateurs étaient très nombreux à ce point du parcours. Ce sont certainement eux, avec leurs applaudissements, leurs encouragements, leurs pancartes, leurs perruques, leurs crécelles et leur énergie, qui m’ont aidé à me rendre jusqu’à la fin. Je l’ai franchi, ce fil d’arrivée. Faible, déçue et dans un état lamentable, mais je l’ai franchi. Une fois qu’on m’a enfilé la médaille autour du cou, cependant, une bonne partie de ma déception s’est envolée. Je n’étais pas venue pour un lapin, ni pour un chrono, ni pour impressionner qui que ce soit. J’étais là pour courir et c’est ce que j’ai fait.
Mon beau-père, plus tard, m’a confié ne pas comprendre la souffrance que s’imposent tant de coureurs. Il m’a dit: « Les bénéfices doivent être vraiment importants »; j’ai répondu: « Oui, vraiment ». Il était placé au Km 18 du demi-marathon, qui correspondait environ au Km 32 du marathon (le mur, le vrai). J’imagine qu’il a vu beaucoup de combats à ce point précis.
Si cette compétition avait été ma première, j’aurais peut-être eu la frousse, mais je sais qu’elles ne sont pas toutes comme celle-là. Je sais aussi que les 500 Km d’entraînement qui m’ont menés à cette compétition valaient toute la peine que je me suis donnée à courir les 21,1 Km. La prochaine sera meilleure et j’ai déjà hâte de m’y préparer.